Outil de simulation augmentée testé depuis juin à La Source, Team Vision permet désormais d’objectiver des éléments du domaine relationnel jusque-là cantonnés à des sentiments ou à des impressions subjectives. Une plus-value importante pour faire d’un groupe composé d’expert·es une équipe experte.
Donald Glowinski, Responsable de la Simulation à La Source, durant la première démonstration de Team Vision, en juin 2024. Photo David Trotta © La Source
Par David Trotta, Rédacteur en chef du Journal La Source, Institut et Haute École de la Santé La Source
Avez-vous déjà assisté à un concert qui sonne faux ? Quand un·e musicien·ne dérape, oublie un bout du morceau, casse une corde ou commence à dévier du tempo ? Le drame, ce n’est pas qu’un incident arrive, mais qu’une fausse note débouche sur un véritable fiasco catastrophonique, parce que le collectif n’a pas su pallier un moment d’égarement individuel. Et que le groupe finisse par dérailler dans son ensemble, pas assez armé pour que le show continue sans l’un de ses membres.
C’est précisément en s’intéressant à la mécanique de quatuors et d’orchestres que naissait il y a près de vingt ans les prémices de Team Vision, outil aujourd’hui développé dans le monde des soins et de la santé. Plus précisément dans le champ de la simulation. « Le projet vient en effet de la musique, en étant amené à modéliser des interactions entre musicien·nes pour comprendre comment un groupe arrivait à jouer ensemble. Non seulement être ensemble, mais surtout analyser et comprendre comment il développe une forme de résilience organisationnelle, une capacité d’équipe à préserver son unité, sa cohésion, quelles que soient les tensions et les perturbations », explique Donald Glowinski, professeur HES ordinaire et responsable de la simulation à l’Institut et Haute École de La Santé La Source, aux origines de Team Vision.
Rendre visible l’invisible
Sorte de simulation 2.0, Team Vision s’emploie à mettre en lumière des aspects jusque-là difficiles à matérialiser : le positionnement dans une pièce, les échanges visuels et oraux entre membres d’une équipe. Plus précisément lors du débriefing, dit augmenté. « Nous partons d’un débriefing classique qui va travailler sur les aspects émotionnels d’une situation. L’intérêt du système consiste à expliciter et objectiver les enjeux de communication, les types de coordination, dont on sait qu’ils sont essentiels pour l’action collective ».
En clair : fini le temps des « tu ne me regardais pas alors que j’essayais de te montrer des éléments importants » et des « tu ne m’écoutes jamais quand je parle », confrontés à un regard désapprobateur de la part de la personne à qui s’adressent les remarques. « Nous pouvons désormais effectivement montrer qu’il n’y a pas eu d’échanges de regards ou qu’une personne est systématiquement coupée quand elle prend la parole », assure Donald Glowinski.
D’une équipe d’expert·es en équipe experte
S’il met sous les projecteurs et de façon tangible les comportements individuels, le but de Team Vision consiste avant toute chose à analyser le fonctionnement d’une équipe. Afin d’en augmenter l’efficacité et éviter les erreurs médicales. Une logique qui vise à garantir toujours plus la sécurité des patient·es, notamment dans des situations urgentes et qui exigent des prises de décisions rapides. Un moment charnière qui suppose rapidité d’analyse et d’action, à l’épreuve d’un contexte pas toujours propice à un jugement éclairé.
Nuance qui peut sembler ténue, elle s’avère néanmoins fondamentale. « Il s’agit de sortir d’un regard dit ‘personne dépendant’ pour arriver à du ‘problème dépendant’. Les personnes se sentent beaucoup moins en situation de jugement personnel, parce que nous ne regardons pas des images d’elles-mêmes dans une situation de difficulté, mais parce que nous analysons comment chacun·e devient fonctionnel·le en équipe ».
Un travail aussi sur les marges de manœuvre réelles et les possibilités de développement. « Grâce à ces deux aspects, les personnes se sentent bien plus en situation de confiance. Et en ramenant toujours le propos à des éléments factuels, on évite que quelqu’un surinvestisse ou surgénéralise ». D’autant que l’outil souligne tout autant les réussites, les fonctionnements vertueux d’une équipe, permettant à d’autres de s’en inspirer.
Testé en situation réelle à La Source depuis le début de l’été, Team Vision se focalise pour l’heure sur trois familles d’indicateurs, autour du déplacement, du regard et des interactions verbales. Il pourrait toutefois en intégrer davantage lors de développements futurs. « Nous en sommes à une première phase qui consiste à voir comment les personnes s’approprient ces indicateurs initiaux. Nous avons fait le choix de limiter ce nombre, car l’enjeu est de rendre explicite certaines tendances fortes dans les dynamiques d’équipe plutôt que de complexifier les catégories d’analyse ». Et de rappeler l’objectif central : créer des équipes expertes autour de représentations partagées plutôt que des experts évoluant en silo.