Encore peu connu en Suisse et relativement nouveau, le rôle de pair praticien·ne prend une place toujours plus essentielle dans les structures de soins, la recherche et l’enseignement. Récit d’une expérience.
Tania Zambrano Ovalle, Paire praticienne en santé mentale et chargée de cours, Institut et Haute École de la Santé La Source. Photo David Trotta © La Source
Par Tania Zambrano Ovalle, Paire praticienne en santé mentale et chargée de cours, Institut et Haute École de la Santé La Source
Un·e pair praticien·ne en santé mentale (PPSM) est un·e professionnel·le ayant traversé des difficultés psychiques, élaboré un processus de rétablissement et mettant son expérience au service des autres. Son périmètre d’activité inclut l’accompagnement de personnes en souffrance psychique, l’intégration de savoirs expérientiels auprès des équipes pluridisciplinaires dans le suivi des résident·es ou usager·ères des institutions, ainsi que l’enseignement de cette approche auprès d’étudiant·es dans le domaine de la santé ou la recherche en lien avec la santé mentale.
La capacité à apporter un éclairage singulier sur la santé mentale, basé sur ses propres expériences de souffrance et de rétablissement, distingue les PPSM des autres professionnel·les. En ce sens, tout le monde possède des savoirs expérientiels, mais devenir un·e professionnel·le en santé mentale nécessite une formation et une pratique structurée. En 2019, j’ai suivi une formation certifiante de pair praticien·ne en santé mentale à la Haute école de travail social et de la santé Lausanne (HETSL), terminée en 2022. Ce diplôme représente une reconnaissance officielle de mon parcours, ainsi qu’une mise en forme des outils nécessaires pour accompagner de manière professionnelle les personnes souffrant de troubles psychiques.
Les savoirs que j’apporte ne sont pas uniquement le fruit d’une théorie ou d’un concept : ils sont ancrés dans mon vécu et nourris par un parcours de vie marqué par la vulnérabilité, la précarité, l’addiction et la reconstruction. Ils m’ont permis d’entrer en relation avec les résident·es de l’établissement où je travaillais, notamment ceux qui vivent la précarité ou sont exclu·es des dispositifs habituels. Mes expériences me permettent de comprendre de manière plus intime leurs difficultés, de les aborder sans jugement et d’offrir un soutien en ayant pleinement conscience des étapes d’un processus de rétablissement. Tout en en créant un pont entre les équipes de professionnel·les et les personnes concernées, lorsque cela s’avère nécessaire.
Dans mon travail, j’utilise ces savoirs pour établir des liens authentiques avec les personnes concernées par la souffrance psychique. Tout n’est cependant pas nécessairement partagé : j’évalue ce qui est pertinent selon la situation, en restant attentive à ce qui peut vraiment aider l’autre. Le vécu, aussi riche soit-il, doit être transmis de manière équilibrée et constructive pour laisser la place à l’autre, dans toute sa singularité.
L’intégration du rôle de pair praticienne dans les structures de soins permet un accompagnement où la dimension humaine va être prépondérante. J’observe auprès des résident·es un changement d’attitude, en cas d’accompagnement par une personne ayant traversé des épreuves similaires. Cette relation de confiance est un vecteur essentiel de motivation, car les patient·es parviennent à retrouver de l’espoir et donnent du sens à leur expérience de la maladie. Envisager leur propre rétablissement devient une possibilité réelle, au-delà des limites et difficultés et favorise l’élaboration d’un rapport de partenariat avec les soignant·es. La plus-value se mesure aussi auprès des équipes qu’intègrent les PPSM, leur rôle faisant écho aux compétences et outils des professionnel·les de la santé mentale sans lesquels le rétablissement n’est pas possible.
Au-delà de mon travail dans un établissement psycho-social, j’ai la chance d’enseigner auprès des futur·es infirmier·ères depuis avril 2024. Cette transmission des savoirs expérientiels est pour moi une occasion de valoriser le potentiel de chaque futur·e professionnel·le à tisser un lien véritable avec les personnes qu’il ou elle accompagnera. Je suis convaincue que le rétablissement est rendu possible grâce à la qualité de la relation qui se noue entre soignant·es et patient·es. Ainsi, le modèle d’accompagnement qu’intègre le ou la PPSM est centré sur l’humain, un modèle où chacun·e a un rôle à jouer pour permettre à l’autre de retrouver sa dignité et de se relever de ses vulnérabilités, pour que celles-ci deviennent une force.
À l’École, ce rôle pourrait être encore optimisé en intégrant davantage de savoirs expérientiels dans les programmes de formation. Ce renouveau, déjà amorcé par La Source, est un levier important pour faire évoluer les perceptions et pratiques en santé mentale. Nous travaillons à ce que la vulnérabilité ne soit plus perçue comme un simple déficit, mais comme une force permettant la résilience et le développement d’un accompagnement plus inclusif et empathique. Le rôle de PPSM s’avère ainsi bien plus qu’une nouvelle fonction : il incarne une manière différente de penser le soin, où l’humain est au centre, avec ses fragilités mais aussi son immense capacité de résilience.
En quelques mots
Après quinze ans passés en tant que réalisatrice et scénariste de films de fiction, où j’ai exploré les récits humains aussi à travers le cinéma, j’ai dû faire face à mon propre combat contre l’addiction. En 2015, j’ai entamé mon propre chemin de rétablissement. Ce parcours de reconstruction m’a menée à devenir pair praticienne en santé mentale en 2022, un rôle que j’ai exercé dans une institution psychosociale de 2021 à décembre 2023. J’occupe aussi la fonction d’assistante de recherche à La Source depuis janvier 2023.
Dans mon travail, j’accompagne des personnes en souffrance psychique dont l’espoir, comme le mien, est de traverser des vulnérabilités et de redonner sens à l’expérience de la maladie. Pour qu’elles ne s’avèrent pas un déficit, mais au contraire un levier vers le rétablissement et l’autonomie. C’est cette conviction que je partage chaque jour, que ce soit auprès des personnes que j’accompagne ou des professionnel·les de demain, qui jouent un rôle essentiel dans le processus de rétablissement.
Article publié dans le Journal La Source d’hiver 2024