Le canton de Vaud compte plusieurs dizaines de centres médicaux qui accueillent des patient·es sans rendez-vous. Comment savoir vers lequel se diriger ? Quel est l’état de la salle d’attente actuellement ? L’application « Urgences Vaud » donne une indication précieuse à celles et ceux qui se renseignent avant de se rendre aux urgences. Entretien avec Nicolas Liechti, spécialiste en communication et entrepreneur, qui pilote le développement de cette app depuis sa création.
Par Amélie Kittel, Étudiante Bachelor en soins infirmiers en 2e année, volée automne 2022, Institut et Haute École de la Santé La Source
Amélie Kittel: Pouvez-vous m’expliquer d’où est venue l’idée d’une application sur la fréquentation des urgences ?
Nicolas Liechti: Cela remonte à 2015, lorsque j’étais responsable de la communication digitale du CHUV. Pierre-François Leyvraz, Directeur général à l’époque, m’a demandé de créer « la météo du CHUV ». Il avait l’intuition que les gens se rendaient aux urgences de l’hôpital car ils n’avaient pas connaissance des autres centres à disposition.
AK: Le projet s’est donc développé à la base sur Lausanne ?
NL: Oui. J’ai commencé par prendre contact avec les autres centres médicaux lausannois qui consultent sans rendez-vous : Le centre médical de Vidy, la Clinique Cecil du groupe Hirslanden, la PMU (Policlinique médicale universitaire, devenue Unisanté), etc. Ils ont tous été intéressés à participer. En parallèle, nous avons mené des interviews dans des salles d’attente et en ville de Lausanne, pour sonder la connaissance de la population sur les centres médicaux de la région et sur leurs besoins. Plusieurs constats ont émergé. D’une part, les gens n’avaient que très peu connaissance des autres centres d’urgence. D’autre part, ils ne pensaient pas pouvoir être pris en charge par la LAMal dans les centres privés. Enfin, nous avons questionné leur intérêt à connaître le temps d’attente estimé : ce n’était pas le cas, ils ont exprimé vouloir uniquement savoir s’il y avait beaucoup de monde ou pas.
AK: Comment fonctionne l’application concrètement ?
NL: L’application interagit avec les systèmes informatiques des différents centres via des connecteurs spécifiques, lesquels récupèrent les données pertinentes. Un algorithme analyse ces données et les traduit en trois niveaux de charge : vert, orange ou rouge. Ces niveaux sont actualisés toutes les cinq minutes. Sur cette base, l’app propose aux utilisateur·trices le centre d’urgence optimal en fonction du moyen de transport sélectionné, du temps de trajet, du trafic, de la position géographique et de la charge des centres. Nous avions envisagé plusieurs niveaux de précision, notamment des estimations de temps d’attente, mais nous avons décidé de nous en tenir à ces trois indicateurs. D’une part, cela correspondait aux attentes exprimées dans nos sondages et d’autre part, nous avons pris en compte le bien-être des soignant·es, car fournir une estimation précise du temps d’attente peut engendrer des tensions supplémentaires, surtout dans un environnement déjà sous pression. Il est enfin essentiel de souligner que toutes les données collectées sont anonymisées : l’application ne conserve aucune information sur les utilisateur·trices ni sur la raison de leur consultation.
AK: L’application a été lancée par le CHUV et ses partenaires en août 2016. Quelle a été sa réception ?
NL: L’intérêt a été immédiat, l’app a comptabilisé plus de 10’000 téléchargements en moins d’un mois. Nous avons fait peu de publicité mais obtenu une couverture médiatique importante. Plusieurs pistes de développements se sont rapidement manifestées : étendre la couverture géographique hors Lausanne et proposer les spécialités médicales (pédiatrie, gynécologie et obstétrique, ophtalmologie, etc.). Ces axes ont été développés depuis. En 2019, à la suite d’une collaboration avec la Fédération des hôpitaux vaudois, nous avons pu ajouter les 32 centres d’urgences vaudois dans l’application. Progressivement, le CHUV, dont la gestion de l’application n’était pas la mission première, a décidé de se désengager de celle-ci. Depuis 2023, c’est la société Axepion SA, que je dirige, qui assure la gestion et le développement de l’application.
AK: Quelle est la satisfaction des utilisateur·trices ?
NL: Aujourd’hui, notre application compte plus de 200’000 téléchargements. Elle est consultée par plus de 1’300 personnes par jour en moyenne. Nous bénéficions d’une note de 4,6/5 sur les différentes plateformes, accompagnée de retours très positifs. Cependant, les critiques exprimées portent souvent sur les temps d’attente réels, notamment lorsque le centre est signalé en vert. Cette situation reflète la réalité des centres d’urgence, qui attribuent systématiquement la priorité en fonction de la gravité des cas, entraînant parfois des délais d’attente plus longs que prévus.
AK: Savez-vous si l’app a eu un impact sur les flux de patient·es ?
NL: Il est très difficile pour nous de le déterminer. De manière générale, nous observons une augmentation de l’activité dans les centres d’urgence, avec une légère baisse de fréquentation au CHUV en 2022. Cependant, de nombreux facteurs entrent en jeu et peuvent fausser notre analyse des statistiques, notamment les longues périodes de COVID.
AK: Quels sont les développements à venir pour « Urgences Vaud » ?
NL: Le domaine de la réponse à l’urgence est vaste et complexe, et nous avons élaboré de nombreuses idées pour améliorer le quotidien de nos utilisateur·trices et des centres d’urgence. Pour commencer, nous avons décidé de changer le nom de notre application afin de permettre son expansion en dehors du canton de Vaud. Ainsi, « Urgences Vaud » sera prochainement renommée « Medigo ». En ce moment, nous travaillons activement à améliorer les indicateurs de charge, en tirant notamment parti de l’intelligence artificielle. Parallèlement, nous réfléchissons à comprendre les actions des utilisateur·trices après avoir consulté l’application : font-ils appel à la centrale des médecins de garde ou se rendent-ils directement dans le centre d’urgence recommandé par l’application ? L’enjeu principal réside dans la recherche d’un moyen d’obtenir ces informations de manière volontaire et peu intrusive.