«La précarité alimentaire est un sérieux problème de santé publique»

Par manque de moyens financiers ou par méconnaissance nutritionnelle, une part toujours plus importante de la population peine à se nourrir correctement. C’est notamment le cas des étudiant·es et des seniors, au cœur des prochaines causeries médico-culinaires « Toque et Doc ».

David Trotta – Rédacteur, Institut et Haute École de la Santé La Source

Le cycle 2024 de conférences « Toque et Doc » proposées par le Source Innovation Lab (SILAB) en collaboration avec la Clinique de La Source, s’attaque cette année à la précarité alimentaire. Fin février, la première causerie médico-culinaire s’intéressera aux étudiant·es et jeunes actifs·ves, avant de consacrer son deuxième volet, fin septembre, aux seniors. L’occasion de parler d’un phénomène qui s’étend à une part toujours plus importante de la population avec Dominique Truchot-Cardot, médecin nutritionniste, professeure ordinaire et responsable du SILAB à l’Institut et Haute École de la Santé La Source.

Précarité alimentaire, de quoi parle-t-on concrètement ?

Il s’agit d’un phénomène de société nouveau : constater que l’alimentation, vitale et a priori instinctive chez l’humain, ne l’est plus pour les jeunes générations. On estime aujourd’hui que trois personnes sur dix, chez les étudiant·es et jeunes actifs·ves, ne mangent pas à leur faim, dans un pays tel que la Suisse, où les propositions alimentaires sont pourtant nombreuses. Les raisons sont d’une part d’ordre financier, avec une inadéquation entre les moyens et le prix des aliments galopants. D’autre part, on constate aussi un manque d’éducation criant.

Un manque d’éducation, c’est-à-dire ?

Les cours en lien avec l’alimentation à l’école obligatoire sont laissés au bon vouloir des directions d’établissements. En Suisse alémanique, les cours d’éducation alimentaire sont systématiques, alors qu’on en trouve très peu en Suisse romande. Dès l’école obligatoire s’instaure un défaut d’information ou de formation, qui aurait pu pallier un manque dans les familles. Il faut savoir qu’on arrive à la troisième génération qui ne cuisine plus. C’est-à-dire que des enfants entre 10 et 14 ans n’ont jamais vu quiconque cuisiner chez eux. Une évolution en lien avec une facilité à trouver de l’alimentation toute faite. S’ajoute à cela une mésinformation par les réseaux sociaux, qui proposent tout et son contraire et un maximum de fake news. Un·e étudiant·e ou un·e jeune actif·ve qui souhaiterait se prendre en charge en s’appuyant sur les informations grand public aura toutes les difficultés du monde à trouver et démêler les bonnes informations. Ce champ est encore plus brouillon et anarchique que celui de l’activité physique. La précarité comprend donc ces deux aspects : le manque de moyens ainsi qu’un faible degré de littératie nutritionnelle. À savoir l’absence ou le manque de connaissance des aliments, ainsi que l’absence ou le manque de connaissance des besoins physiologiques.

On parle d’un problème majeur de santé publique. Dans quelle mesure ?

Par exemple, ne pas faire attention à ses apports calciques à la fin de l’adolescence, c’est prendre le risque de ne pas avoir des os suffisamment solides en vieillissant lorsque va apparaître l’ostéoporose. C’est une période charnière pour la constitution osseuse dans le fond (structuration de la trame osseuse) et la forme (richesse minérale). C’est aussi à l’adolescence qu’on fait le lit de maladies telles que l’obésité, le diabète ou l’hypertension, avec une alimentation trop salée, trop sucrée, trop transformée et dépourvue de microéléments essentiels tels que les vitamines ou les oligo-éléments. Nous observons par ailleurs une explosion des maladies digestives chroniques inflammatoires, type maladie de Crohn, sans lien de causalité évident, mais avec une présomption à l’égard des aliments ultra-transformés. Les maladies auto-immunes et inflammatoires n’ont jamais été aussi présentes dans cette tranche de population qui présente une relation à la malbouffe assez constante. La précarité alimentaire est donc un sérieux problème de santé publique, par le nombre de personnes que cela concerne ainsi que la gravité des conséquences. De façon plus large, il ne faut pas oublier que 80% des maladies cardiovasculaires sont évitables par une alimentation et de l’activité physique adaptées. Pour les cancers, on évoque que 30% seraient évitables par l’alimentation. L’alimentation est un véritable enjeu de santé publique, pour ses conséquences sur l’humain et sur les finances du système de santé.

Le deuxième volet, qui aura lieu en septembre, sera consacré aux seniors. Les réalités sont-elles particulièrement différentes ?

C’est pire encore. Prenons l’exemple des bénéficiaires de l’AVS recevant des repas à domicile. C’est une catégorie catapultée vers une dénutrition rapide et sévère. Un plateau-repas livré à domicile coûte entre 13 et 17 francs, à la charge du bénéficiaire. Très peu de seniors en ont les moyens. Ainsi, au lieu de prendre un plateau par repas, beaucoup se contentent d’un plateau par jour. Dès lors que l’on entre dans ce type de système, on divise par deux ses apports alimentaires. Ces personnes chutent brutalement à moins de mille calories par jour si, par isolement familial ou social, elles n’ont pas la possibilité de compléter les rations. Sans oublier la non prise en considération de la multiculturalité de la Suisse. Tout le monde n’aime pas recevoir un jour sur deux des carottes Vichy ou du papet vaudois. De la même manière que la vanille dans un yaourt n’est pas un goût naturel pour les plus de 65 ans. Il faut impérativement rendre ces plateaux-repas accessibles et attractifs. Par des aides financières et de la cuisine de proximité goûteuse. Pendant la période Covid, les personnes âgées ont souvent mieux mangé, parce que des restaurateurs se sont débrouillés pour préparer des petites portions à emporter, diminuant de fait les prix, tout en respectant les besoins essentiels. Il faut garantir aux personnes âgées certes de l’équilibre, mais de vrais moments de convivialité accessibles financièrement.


Toque et Doc – « Ça suffit ! La précarité alimentaire chez les étudiant·es et les jeunes actif·ves »
Jeudi 29 février 2024, 18h-20h
Site de Beaulieu de La Source, Lausanne

Sur inscription
CHF 35.-
Gratuit pour le personnel de la Fondation de La Source et les étudiant·es en formation initiale à La Source
Informations détaillées et inscriptions