[Journal La Source] Comprendre le vécu des autistes dans la salle d’attente: une opportunité pour mieux réfléchir à l’inclusivité des soins

La salle d’attente est un lieu de transition, de surstimulation et d’incertitudes dans le parcours d’une personne autiste, ce qui peut la mener à un état d’épuisement ou de crise et la priver d’un juste accès aux soins. En écoutant les autistes sur leur vécu, il est possible d’améliorer l’ergonomie des salles d’attente et d’apprendre à penser activement l’accès aux soins des personnes ayant des besoins spécifiques.

© Canva.com

Par Fabien Van Beneden, Infirmier, Diplômé de La Source 2017

Petite anecdote dans la peau d’un autiste avant une consultation spécialisée à l’hôpital

Ça y est, je suis arrivé à l’hôpital pour ma consultation. Je transpire de stress, ma propre odeur me dérange. J’avais calculé l’itinéraire pour arriver 45 minutes à l’avance en cas d’imprévus ou de retard : les transports publics, c’est toujours très éprouvant.

Je vois au loin un groupe de gens assis sur des petits sièges verts et oranges, la salle d’attente doit être là-bas. Il fait tellement chaud et le brouhaha des gens assis à la cafétéria derrière m’empêche de me concentrer. Je vois un siège libre à l’écart et m’y installe. Enfin, je peux poser mon sac et retirer ma veste, qui m’empêchait de bouger correctement. Je me balance discrètement pour m’apaiser et ouvre mon sac : les deux feuilles A4 de questions pour le médecin sont toujours bien pliées, à leur place. Je prépare mes questions depuis le mois dernier, me levant même la nuit pour les noter ou les compléter. Une personne vient s’assoir juste à côté de moi, je me recroqueville, mon souffle se coupe puis je me résous à ranger mes documents car je me sens envahi dans mon espace personnel. De toute façon, je dois rester concentré sur les différents box d’accueil, dont les portes sont ouvertes, et sur les autres patient·es si je veux comprendre quand viendra mon tour.

Une secrétaire lève la tête et me fait signe ! J’hésite puis me précipite pour entrer dans le box avant qu’elle ne fasse venir quelqu’un d’autre. Je m’efforce de la regarder et lui dis bonjour. Elle me demande ma carte d’assurance maladie et mes coordonnées. Le néon au-dessus de nous bourdonne et fait « touc » toutes les 5 secondes, c’est insupportable. Et alors que je commence à expliquer que j’ai un rendez-vous en consultation spécialisée dans 6 minutes, une de ses collègues fait irruption dans le box pour poser une question et repart sans refermer la porte. Je me lève pour la refermer. Confus, je bafouille pour expliquer pourquoi je viens et parviens avec peine à demander comment me rendre à la consultation… au deuxième étage d’un autre bâtiment.

Je me perds un moment au rez-de-chaussée pour trouver la bonne sortie. Je monte au deuxième étage, heureusement la plaque indique que je suis au bon endroit. J’entre et m’annonce à la secrétaire, qui me dit d’aller patienter dans une nouvelle salle d’attente. Un quart d’heure plus tard, la secrétaire appelle d’autres patient·es et semble m’ignorer. L’heure de mon rendez-vous arrive et toujours rien, aucune information. Je suis tellement inquiet, et finalement le médecin m’appelle dix minutes plus tard sur mon portable pour me dire qu’il m’attend… dans un autre cabinet que d’habitude. Furieux, épuisé, je cours à l’autre cabinet. Je ne sortirai même pas ma feuille pour poser la moindre question lors du rendez-vous, luttant pour retenir mes larmes et totalement épuisé.

Cette anecdote illustre les nombreuses difficultés qu’une personne autiste peut rencontrer lorsqu’elle se trouve dans en salle d’attente. Pour approfondir cette question, j’ai sollicité l’avis de deux personnes expertes: Romane Garcia et Cédric Goedecke, autistes et pair·es aidant·es professionnel·les, actuellement impliqué·es dans le projet Ici TSA pour faciliter l’accès aux soins des personnes autistes.


FVB: À quelles difficultés font face les autistes dans une salle d’attente ?

RG: Elles sont différentes d’une personne autiste à l’autre, mais on peut les regrouper par catégorie. Il y a tout ce qui relève de la surstimulation sensorielle, tel que le brouhaha en salle d’attente, le scintillement de certaines lampes, les téléphones qui sonnent soudainement, l’odeur de l’hôpital ou quand une personne vient s’installer juste à côté de vous lorsque vous recherchez le calme. Il y a aussi le stress lié au fait que le temps d’attente est rarement clairement défini, on ne sait pas quand viendra notre tour, ce qui nous maintient dans un état d’hypervigilance, qui consomme lui aussi beaucoup d’énergie. Il y a aussi l’enjeu de la communication avec le personnel, le besoin d’une information précise et fiable.

CG: Dans une salle d’attente, il nous est nécessaire d’économiser notre énergie pour en garder le plus possible lorsque nous devons ensuite exposer notre problème de santé aux médecins, collaborer au soin et obtenir les réponses à nos questions dans un court laps de temps. Tout ce qui précède le rendez-vous, c’est pour nous le risque de perdre trop d’énergie et de ne plus pouvoir gérer au moment de la rencontre avec les médecins ou durant le soin. Et finalement, c’est notre prise en charge en tant que patient·e et notre santé qui s’en retrouvent menacées.

FVB: Peut-on faire quelque chose pour que les salles d’attente soient plus adaptées aux autistes ?

RG: Déjà en diminuant les stimulations sensorielles ou en permettant aux autistes de les éviter, avec des places d’attente à l’écart des autres, ou encore avec des cloisons, mais qui laissent la possibilité de voir lorsque c’est à notre tour de passer. Il serait utile que le personnel en première ligne, tel que les soignant·es aux admissions et les secrétaires soient sensibilisé·es aux besoins des personnes autistes et puissent nous fournir des informations claires et nous aider à nous orienter. Tout ce qui donne de la prévisibilité et qui aide à anticiper est utile. Nous avons besoin d’informations explicites pour savoir ce qui va se passer et quand nous pouvons mettre en pause notre hypervigilance pour économiser notre énergie.

CG: Il est important de signaler qu’actuellement, c’est principalement la personne autiste qui doit se débrouiller pour expliquer ses particularités, ses besoins et qui doit faire l’effort de trouver des stratégies d’adaptation, qui doit faire des recherches pour accéder à une information claire, qui doit se protéger au niveau sensoriel, tout cela pour pouvoir accéder aux soins. Cela implique d’avoir une bonne connaissance de soi et nécessite de mobiliser une énergie considérable. De ce fait, cela va exclure certaines personnes autistes qui ont moins de ressources pour se suradapter à un monde, à un système qui n’a pas connaissance de leurs besoins spécifiques. Une salle d’attente plus adéquate, pour moi, c’est par exemple d’avoir des informations claires sur le temps d’attente restant, par exemple avec un affichage de l’ordre de passage. J’ai besoin également que l’information soit fiable, si la personne devant moi a besoin d’aide et que cela va vraisemblablement prendre du temps, je préfère que l’on me dise la vérité, ce qui me permet de planifier moi-même le temps d’attente restant, plutôt que l’on me dise d’attendre encore seulement cinq minutes pour me rassurer avec un mensonge qui me fera douter et m’inquiéter une fois les cinq minutes écoulées sans que l’on me donne de nouvelles.

FVB: Avez-vous un message à faire passer aux milieux de santé ?

RG: De ne pas oublier le slogan « rien sur nous sans nous », d’écouter les besoins spécifiques des personnes concernées et de toujours vérifier ce qu’il en est auprès de la personne, même si l’on croit savoir. Les autistes, mais aussi d’autres personnes concernées par des besoins particuliers ne sont pas juste des simples demandeur·euses d’aide. Leur paradigme est différent et essayer de le comprendre peut apporter des manières de concevoir un système de santé plus inclusif.

CG: On dit que les interactions interpersonnelles peuvent être difficiles pour les autistes, c’est vrai. Mais il est aussi vrai de dire que cela va dans les deux sens : les non-autistes ont aussi de la difficulté à entrer en interaction et à comprendre les personnes autistes. Selon moi, il est nécessaire que l’effort d’adaptation soit fait et partagé dans les deux sens avec l’institution et le personnel et non pas que ce soit à la personne autiste de porter l’entier de ce fardeau. Que ce soit dans la salle d’attente ou en soins, le plus important est finalement de faire preuve d’ouverture d’esprit et de vouloir comprendre ce que vit l’autre, sans croire que l’on sait ou que l’on n’a pas besoin de le savoir. Cette attitude est importante dans la relation soignant·e-soigné·e, mais aussi lorsque l’on conçoit le système de santé et son accessibilité.


En savoir plus:

Ici TSA

DAC-TSA