Si les résultats de recherche prouvent aujourd’hui encore une différence, parfois importante, dans le traitement réservé aux femmes en termes de santé, de nombreux travaux sont menés pour en comprendre l’origine et, in fine, réduire toujours plus les écarts. Point de situation, dans le Journal La Source.

Joëlle Schwarz © Gilles Weber, SAM
Comprendre comment et pourquoi femmes et hommes sont inégaux face à la maladie, c’est se tourner vers la science et son histoire, largement responsable des traitements différenciés, aujourd’hui encore à l’œuvre. Mais pas seulement. C’est aussi porter un regard global sur un modèle de société, qui évolue vers un mieux certes, mais toujours défavorable, à plus d’un titre, envers les femmes.
Preuve en est ici aussi, aujourd’hui encore, avec la parution fin mai des résultats de l’enquête suisse sur la santé 2022 de l’Office fédéral de la statistique (OFS), précisément axés sur les différences en santé selon le genre.
D’hier
« La médecine a largement contribué à cette grande entreprise du 19ème siècle de classification des espèces, de la faune et de la flore. Et de façon générale, un peu toutes les sciences, dont la biologie ou l’anthropologie », explique Joëlle Schwarz, co-responsable de l’unité Santé et genre au Département des policliniques d’Unisanté et privat-docente de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. Aussi l’une des cosignataires du récent rapport de l’OFS.
Derrière la classification, des conséquences : une hiérarchie des genres, sous couvert d’une infériorité biologique naturelle prétendue de la femme. Sur quelles bases ? « Des études ont par exemple été menées sur la taille des cerveaux, en moyenne plus petits et plus légers chez la femme. De même que les manuels de médecine ont souvent décrit le corps féminin comme imparfait, pathologique et sexué. Au contraire de celui de l’homme, présenté comme standard, neutre et universel », illustre la chercheuse.
À ceci s’ajoutent encore des syndromes dont l’hystérie ou la façon dont on présentait la ménopause, qui témoignent d’une problématique bien plus large : l’interprétation. « On disait notamment qu’à cause de ces syndromes, les femmes n’étaient pas capables d’assurer une vie politique, économique, sociale au même titre que les hommes », souligne encore Joëlle Schwarz. Il faudra attendre les années 1980, l’émergence du concept de genre dans les sciences sociales, pour commencer à y voir plus clair. Le début d’un grand travail de déconstructions des « savoirs », toujours en cours, qui met largement en lumière des constructions sociales solidement ancrées dans l’imaginaire collectif.
À aujourd’hui
« On continue de faire de la recherche biomédicale sur les différences entre les sexes, sur ce qui pourrait expliquer des prévalences de maladies ou le risque de développement de maladies. Mais aujourd’hui, on documente aussi beaucoup en quoi les rôles de genre ont une influence sur celles-ci. L’enjeu de l’enseignement de la médecine consiste à montrer en quoi les déterminants sociaux, dont le genre fait partie, continuent d’influencer la santé des individus », précise la chercheuse. Et d’influencer en premier lieu la santé et la prise en soin des femmes.
Car si la situation avance dans la bonne direction, de nombreux freins continuent d’entraver un traitement équitable des genres. Pour des raisons multiples. Dont les représentations, par exemple au sujet des maladies cardiovasculaires. Les femmes consultent souvent plus tardivement que les hommes pour des symptômes typiques d’infarctus, pensant ne pas être à risque de maladies cardiovasculaires.
Sans oublier les biais de soignant·es. « On constate par exemple, dans le cas d’un diagnostic d’infarctus, que les femmes reçoivent moins de traitements que les hommes et présentent au taux de mortalité en hôpital plus élevé, notamment chez les femmes de moins de 50 ans. L’hypothèse n’est évidemment pas de dire que les soignant·es traitent volontairement différemment les femmes, ou de façon malveillante, mais que s’immiscent des biais implicites dans la prise en charge », indique Joëlle Schwarz.
Des représentations qui ont la dent dure et qui continuent d’alimenter les inégalités, malgré un travail important et réel pour les réduire. Aussi au niveau de la recherche. « Je présente souvent aux étudiant·es un article de référence dans le domaine, datant de 2021. Il montre notamment que les études pré-cliniques, la recherche sur les animaux, se basent encore à 75% sur des modèles mâles ». Un chiffre toujours élevé, à 67% pour les essais des phases 1 à 2, chez l’humain. Avec une tendance identique, côté médicaments. « Il y a 50% d’effets indésirables en plus rapportés chez les femmes, ce qui indique aussi que les médicaments sont majoritairement dosés pour un modèle masculin. De la cellule à l’animal puis à l’humain, on travaille sur des modèles masculins pour ensuite extrapoler les résultats à l’entier d’une population. De façon générale, nous sommes clairement en deçà d’une représentativité des populations, ce qui a un impact important sur la santé des femmes », conclut Joëlle Schwarz.